S’aiguiller vers le Bien-être

Le bien-être: certainement l’un des mots tendances auquel nous avons du mal à nous échapper. Les affiches publicitaires,  les magazines, les émissions de télévision tentent de nous aider dans notre recherche d’une vie un peu plus confortable, aussi bien sur le plan physique que psychique. La pandémie, et tout ce qu’elle a provoqué en terme de malaise, d’isolement, de détresse même, a rendu cette quête du bien-être encore plus vitale. 


Sont multiples les domaines où nous pouvons “nous améliorer”: alimentation, exercice, méditation… Et si le bien-être pouvait venir d’une source un peu moins habituelle ? Si je vous disais qu’un projet de tricot solidaire pouvait aussi apporter des bienfaits importants, et faire rayonner des ondes de positivité autour, me croiriez-vous ?


Il y a 5 ans j’ai lancé l’initiative ‘Les Made-laines’, et une association en est née en 2018. L’idée au départ était d’importer en France un concept d’outil thérapeutique en tricot destiné aux personnes souffrant de maladies neuro-évolutives. A l’époque étaient quasiment inconnus dans l’Hexagone les manchons sensoriels, qui sont une source d’éveil et de stimulation pouvant parfois apaiser des angoisses associées aux maladies telles Alzheimer, J’avais découvert les twiddlemuffs en Ecosse, mon pays d’origine.  Mais la mission de l’association se voulait plus large. Certes, l’objectif était l’amélioration de la qualité de vie de ceux qui souffrent des maladies évoquées ci-dessus. En promouvant le bien-être, la solidarité et le lien social à travers la confection de manchons sensoriels, l’initiative pouvait également offrir des bienfaits à ceux qui participaient bénévolement.


Il se trouve que le projet Made-laines réunit plusieurs éléments susceptibles d’apporter du bien-être: la pratique du tricot (ou du crochet), l’appartenance à une communauté (fût-ce ‘virtuelle’ par le biais d’un groupe privé sur Facebook),  et l’action de la bienveillance envers autrui (et surtout envers des inconnus).


Depuis quelques années, les études se multiplient sur les bienfaits du tricot. On promeut souvent ses vertus thérapeutiques: il agirait sur notre esprit d’une manière semblable au yoga ou à la méditation en nous permettant de nous détendre. Un ‘anti-stress’ naturel, il occupe nos mains, et aide à libérer notre tête. L’attention requise pour tricoter évite de se laisser distraire par des pensées parasites et, en même temps, les gestes répétitifs produisent un effet méditatif. Une étude internationale de plus de trois mille tricoteuses menée en 2013 par Dr Jill Riley, professeure d’ergothérapie à Cardiff *(1) a démontré un lien significatif entre la fréquence de tricoter et le sentiment de calme et de bonheur. Sur les personnes interrogées souffrant de dépression par exemple, 81% déclaraient avoir le sentiment d’être plus heureuses en tricotant. 

 

Pour illustrer à quel point l’on estime le tricot bénéfique sur le plan émotionnel et psychologique, on a crée en 2005 une entité à but non lucratif (une “société d’intérêt communautaire”) consacrée aux vertus thérapeutiques du tricot. Stitchlinks est l’idée originale de Betsan Corkhill, une ancienne kinésitherapeute devenue coach en bien-être, qui a voulu fonder un organisme pour effectuer des recherches pionnières sur l’impact du tricot dans différents domaines de la santé. C’est aussi une plateforme d’information qui centralise les résultats de recherches et d’études, tout en offrant un lieu de partage pour la communauté de tricoteurs (ses). 


Corkhill s’intéresse également aux effets du tricot sur la santé physique. En 2009, en collaboration avec l’unité de gestion de douleur du Royal United Hospital à Bath, Stitchlinks a réalisé une étude* (2) pour déterminer si tricoter pouvait affecter l’expérience de la douleur chronique.  (L’étude regardait également le rôle joué dans la stimulation sociale par la participation dans un groupe de tricot ). Les résultats laissaient suggérer que globalement l’effet du tricot était positif sur la douleur. D’autres recherches méritaient d’être faites, notamment au regard du mouvement rythmique répétitif et son éventuel rôle dans la libération de la sérotonine , l’effet des mouvements automatiques sur les ruminations etc.


Tricoter, c’est aussi une expérience sensorielle. Le toucher, l’appréciation visuelle des couleurs du fil, le cliquetis des aiguilles : tous les sens sont sollicités. Le tricot fait appel bien évidement à notre sens de créativité aussi, et le fait de “produire” quelque chose de nos mains est gratifiant et augmente l’estime de soi.


Si nous tournons notre attention maintenant à l’aspect “bienveillance” du projet Made-laines, nous verrons que c’est un facteur considérable dans le renforcement de notre sentiment de bien-être.


Comme le tricot, la bienveillance est le sujet aujourd’hui de nombreuses études. Les résultats donnent matière à réflexion. Ils démontrent ce que nous sentions instinctivement déjà, c’est à dire, en termes simples, que faire du bien à l’autre nous procure un sentiment agréable (le fameux ‘high du bénévole - ‘helper’s high’ en anglais). Mais pas que : être bienveillant envers autrui (et surtout des inconnus) a des effets positifs sur d’autres aspects de notre santé aussi.  


Prenons par exemple notre système immunitaire. En 1988 Le Dr David McClelland, chercheur à l’Université d’Harvard a pu démontrer par le biais d’un test salivaire qu’être simple témoin de bonnes actions avait un effet sur le taux de l’anticorps l’immunoglobine A secrétoire. Cette étude consistait à montrer un film sur le travail humanitaire de Mère Teresa à un premier groupe de participants, et un film sur Hitler à un deuxième groupe. Après avoir visionné les films, ceux qui avaient regardé Mère Teresa avaient produit bien plus de l’immunoglobine A secrétoire que les autres. C’est le fameux ‘Effet Mère Teresa’.


Le phénomène du ‘high du bénévole’, évoquée précédemment, semblerait être quelque chose de réel. De vraies réactions ont lieu au niveau de l’hormone dopamine par exemple. Lorsque nous faisons un geste de bienveillance envers l’autre, notre corps libère aussi de l’ocytocine, ‘l’hormone de l’amour’, et notre niveau de stress diminue. D’ailleurs, le Dr David Hamilton, écrivain et spécialiste sur la bienveillance (‘Kindness’) explique dans l’un de ses nombreux écrits comment les effets hormonaux de la bienveillance provoquent justement des conséquences tout à fait opposées à celles du stress:  notre tension baisse, notre humeur est boosté, le vieillissement est ralenti, notre coeur protégé… Bref, l’altruisme pourrait être une manière de combattre le stress*. (3)


C’est aussi une pratique qui peut aider des personnes souffrant de dépression ou anxiété, car la bienveillance augmenterait la sérotonine, un transmetteur qui régule notre humeur. D’ailleurs, certains thérapeutes recommandent à leurs patients d’intégrer la pratique de bienveillance  dans leurs vies en faisant du bénévolat, par exemple (en plus, bien évidement, d’un traitement médicamenteux et/ou un suivi psychologique).   


Justement, l’un des avantages du bénévolat et de l’initiative solidaire ‘Les Made-laines’ en particulier est son action sur le renforcement du lien social . Nous faisons face actuellement à un fort sentiment de solitude et d’isolement qui touche à toutes les générations et classes sociales. En cours de route, la société a oublié le besoin de l’humain d’être en lien avec l’autre. En partie à cause de la pandémie, nous cherchons aujourd’hui à nous reconnecter (et non virtuellement!). 


Or, il se trouve que pour notre projet, les tricoteuses bénévoles ne sont pas toujours physiquement à proximité des unes des autres, car le concept des manchons sensoriels s’est répandu dans tous les coins de la France. Elles sont liées néanmoins. D’abord, elles sont connectées les unes aux autres à travers leur participation à une mission commune, et pour certaines, grâce à l’appartenance à un groupe privé d’échange et partage sur les réseaux sociaux. L’association est vraiment très petite, d’où une intimité que nous ne trouverions pas dans un organisme plus vaste.   Deuxièmement, un lien est parfois établi à la personne qui a reçu le manchon, ou à sa famille au moins. Cela donne de belles histoires: par exemple, l’une de nos tricoteuses vivant dans la Drôme a reçu un message de remerciement très touchant de la part d’une dame de Douai. Cette dernière  avait ‘commandé’ un manchon pour sa maman atteinte de la maladie d’Alzheimer, et voulait s’adresser à celle qui avait confectionné l’ouvrage. Un bel exemple de gentillesse d’une personne étrangère à une autre. C’est cette gentillesse qui nourrit les actions de nos bénévoles et qui, à son tour, leur apporte bien-être et certainement une vie plus épanouissante.


Le temps est venu hélas pour boucler cette ode aux pouvoirs magiques du tricot. Si vous le permettez, j’aimerais terminer avec la devise des Made-laines: ensemble, tricotons le fil de la solidarité. Maintenant, à vos aiguilles!

Cara Garcia - Présidente et Fondatrice des Made-laines.

* (1) The Benefits of Knitting for Personal and Social Wellbeing in Adulthood: Findings from an International Survey (Les Bienfaits du Tricot pour le Bien-être Personnel et Social chez l’Adulte: les Résultats d’un Sondage International

*(2) Exploring the Effects of Knitting on the Experience of Chronic Pain – a Qualitative Study (Une Exploration des Effets du Tricot sur l’Expérience de la Douleur Chronique )Betsan Corkhill, Stitchlinks; Carol Davidson, Pain Management, Royal United Hospital, Bath 

*(3) Dr David R Hamilton : Kindness is the Opposite of Stress (La Bienveillance est le contraire du Stress), publié le 6 août 2021 sur son site internet.

Pour toute information sur l’association Les Made-laines, rendez-vous sur le site: www.lesmadelaines.com